Green waters navies (*): Quoi d’autre que des sous-marins conventionnels ? Épisode 1

par le Contre-amiral (R) Luigi Fersini – Sous-marinier

(*)Blue, green ou brown waters : les couleurs de la mer .
– le bleu désigne les espaces marins de grands fonds,
– le vert les eaux littorales et du plateau continental,
– le brun les zones de faibles fonds.

Naviguer à bord d’un sous-marin (nucléaire ou conventionnel et quelle que soit sa taille) n’est pas sans risques : contrairement aux idées reçues, le sous-marin est plus proche de l’avion (bien que dans un milieu plus dense) que du bâtiment de surface. Tracas et avaries y sont à traiter avec vélocité pour parer des conséquences fatales.

La navigation d’un sous-marin, par définition, périlleuse : il suffit de penser aux dangers qui lui sont propres, comme l’échouement [ou la « rencontre » d’un haut-fond] (l’USS San Francisco en 2005 ou le HMS Superb en 2008) ou les collisions en mer avec des navires (le HMS Ambush en 2019 ou le JS Soryu en 2021). Ces dernières, qui ont pour causes des raisons physiques (propagation variable du son dans l’eau, le phénomène étant accru en été), la discrétion d’un bâtiment (voilier ou bâtiment de très grand tirant d’eau en inclinaison faible), peuvent se produire lors d’un retour à l’immersion périscopique : nuit, temps de brume ou mauvaise visibilité sont aussi des facteurs aggravants.

Ajoutons à cela les chaluts dans les zones d’exercices sous-marins, les incendies qui peuvent consumer tout l’air à l’intérieur du sous-marin en quelques minutes, les dégagements de gaz et l’entrée accidentelle d’eau par les passages de la coque (comme les sas vide-ordures ou lance-bombettes), tous risques potentiels en plongée.

Nous avons récemment assisté à une nouvelle tragédie qui a frappé la marine indonésienne avec la perte du KRI Nanggala 402, de la classe Cakra, et des 53 membres de son équipage. L’accident s’est produit lors d’un exercice de lancement de torpilles. Le sous-marin avait plus de 40 ans.

En avril 2003, c’était le cas du sous-marin chinois Changcheng 361, sous-marin des années 70, où un accident causé par un problème mécanique avait entraîné la mort des 70 membres de l’équipage.

On se souvient encore de la disparition, en transit, du sous-marin argentin San Juan. En 2017, l’événement a tenu en haleine les familles argentines et le public (et même la communauté internationale des sous-mariniers) pendant des semaines, jusqu’à ce qu’il soit officiellement annoncé qu’il n’y avait aucun survivant. Le sous-marin a été localisé un an plus tard, reposant par 800 mètres de fond.

Cependant, ces trois derniers événements tragiques précités, les incidents ne sont pas dus à des causes externes.

Sous-marins diesel conventionnels

L’observation grossière des sous-marins encore en service dans certaines marines « littorales » ou dites de « Green waters » (*) présente quelque intérêt :
La marine péruvienne a le sous-marin Islay, type 209/1100, commandé en juin 1970 (photo), le BAP Angamos et le Pisagua – sous-marins Type 209/1200 – mis en service vers 1977.
– La marine colombienne possède le Pijao en service et le Tayrona, deux sous-marins de type 209/1200 commandés en 1975.
– L’Equateur a le type 1300 allemand en service avec les Shyri et Huancavilca, construits à la fin des années 70
– La marine argentine avait le Salta en service jusqu’à récemment Salta et le Saint Louis, tous deux acquis en 1974.
– Le Venezuela a 2 unités de type209/1300 en service Sabalo mis en service en 1976 et 1977, et modernisé en 1993.
– Le Bangladesh a mis en service deux sous-marins chinois en 2017 Ming type 035G réaménagés, lancés en 1989 : le Nabajatra et le SNB Joyjatra ; le gouvernement bangladais aurait payé 203 millions de dollars à la Chine pour ces deux sous-marins.
– Comme prévu ci-dessus, l’Indonésie avait des sous-marins Type 209:1300 mis en service dans les années 80.
– L’Égypte possède 4 sous-marins allemands modernes de type 209, mais a toujours 4 sous-marins chinois de classe Romeo en service. Cette variante est connue sous le nom de Type 033 Romeo. Au total, 84 sous-marins de type 033 ont été construits en Chine entre 1962 et 1984, dont plusieurs ont été exportés vers d’autres pays. Certains d’entre eux sont maintenant exposés dans des musées navals.
– L’Algérie possède 2 bateaux ex-URSS en service issus du projet 877EKM, appelés Rais Hadj Mubarek (012) et El Hadj Slimane (013) lancés en 1987 et 1988 (photo).

Il en ressort que, pour toutes ces marines, l’âge moyen de leurs sous-marins classiques est sensiblement élevé.

Les sous-marins construits dans les années 80 ou 90 avec les technologies de l’époque devraient raisonnablement rester en service autour de 35 ans, jusqu’à un maximum de 40 ans avant d’être désarmés.

 Maintenance et révisions

Les sous-marins en service subissent de fortes pressions plongeant jusqu’à 250/300 mètres, voire plus ; l’impact sur les coques, les structures et les circuits est, dans la durée, plus important que celui des navires de surface.

Dès lors, un sous-marin diesel conventionnel subit en moyenne une maintenance légère de quelques semaines tous les 2/3 ans ainsi qu’une maintenance « intermédiaire », plus importante, de quelques semaines, tous les 5/6 ans, (avec, pour certains sous-marins la découpe de la coque pour permettre le changement des batteries). Tous les 10/12ans et pour une durée pouvant aller jusqu’à deux ans, il fait l’objet d’un grand carénage- modernisation : les travaux comportent des révisions et modifications profondes, une refonte du système de combat et d’autres ensembles. En l’absence de brèches démontables la coque épaisse est découpée pour accéder aux batteries comme au compartiment propulsions).

Le coût de ces travaux et de la maintenance programmée est considérable. L’ordre de grandeur du coût d’une période de maintenance moyenne est estimé à environ 20/25% de la valeur d’acquisition du sous-marin, celui d’un grand carénage- modernisation l’étant de 40/50% de cette même.

Les nouveaux sous-marins (et bâtiments) étant, aujourd’hui, construits avec des technologies et matériaux disponibles de meilleur niveau leur durée de vie pourrait être prolongée de 25/30%.

Considérations et besoins opérationnels

Il est intéressant de noter que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les sous-marins n’ont coulé que deux navires ennemis : la frégate indienne Khukri, par le sous-marin pakistanais Hangor
en 1971 et en 1982, pendant la guerre des Malouines, le croiseur General Belgrano par le Conqueror, britannique, avec deux torpilles ; ce dernier a ainsi contraint la flotte argentine à se réfugier dans les ports et à ne jamais appareiller.

Cependant, les effets stratégiques et psychologiquement dissuasifs sont toujours bien présents : ceci démontre l’importance, tant pour les marines littorales que pour les marines hauturières, de disposer de sous-marins.

Il est important de noter qu’en plus des tâches typiques de la lutte antinavire et anti-sous-marine, les sous-marins conventionnels peuvent accomplir une multitude de missions telles que la collecte de renseignements, la patrouille, l’interdiction, le blocus naval, l’exfiltration, les opérations spéciales ( au profit éventuel de nageurs de combat), la collecte de données (vidéo, ESM, audio) et seule une marine irresponsable accepterait de perdre tous ces avantages stratégiques dans une zone géographique donnée.

Si une marine n’est pas assez forte pour autre chose, elle peut envisager des opérations de « retardement, perturbation, déni et démoralisation ». Les mines et les sous-marins sont des outils potentiels efficaces. De telles opérations, maintenues pendant une durée conséquente sont le propre d’une « guerre asymétrique ».

Les règles du jeu pour les marines littorales seraient la discrétion et le leurre, les embuscades ainsi que les patrouilles, la collecte de renseignements et la désignation d’objectifs. Compte tenu du risque présenté par les torpilles et mines modernes, les forces navales pénétrant dans la zone surveillée par les sous-marins se trouveraient dans une position à haut risque, tant comme force agressive que pour la protection de leurs propres intérêts.

Comme on le sait, les sous-marins conventionnels sont une prérogative presque exclusive des marines développées empreintes d’une très ancienne tradition maritime importante derrière. Toutes les marines mettant en œuvre sont – ou ont été – d’un bon niveau, voire très élevé, du point de vue de la formation du personnel et de la conduite des opérations. Cependant, de nombreuses marines souffrent aujourd’hui de sévères réductions budgétaires et de contraintes financières.

L’objectif ne devrait pas être de maintenir trop longtemps les bateaux en service au-delà du bon sens (mettant souvent en danger la sécurité et la vie de l’équipage) ni de dépenser des centaines de millions d’euros pour des sous-marins conventionnels, surtout en cette période où l’opinion publique est toujours réticente à accepter les dépenses militaires.

Pour ces raisons, les marines emploient souvent des sous-marins bien au-delà de leurs limites car n disposant pas d’un budget disponible d’environ 400/450 millions d’euros pour acquérir un seul nouveau sous-marin (aux normes sûres et modernes).

En effet, l’objectif d’une marine littorale comme de haute mer  devrait être de garantir les mêmes effets dissuasifs au niveau stratégique (en conservant l’avantage tactique d’une composante sous-marine efficace) mais à des coûts bien moindres. Par coûts, s’entend le coût de l’équipement, celui de la maintenance au fil des ans, ainsi que celui du personnel embarqué.

Par conséquent, pour maintenir la même capacité opérationnelle, la solution n’est peut-être pas d’acheter de nouveaux sous-marins conventionnels ou de continuer à dépenser de grosses sommes d’argent dans les grands carénages, mais d’envisager l’acquisition et le déploiement de sous-marins modernes et de plus petites tailles.


source : difesaonline