Torpilles : où en est la marine russe ?

L’armement des sous-marins en torpilles semble constituer un autre goulot d’étranglement de la marine russe, après ceux de la lutte ASM et de la guerre des mines, déjà évoqués sur notre blog. La presse maritime russe se fait ainsi régulièrement l’écho du sous-équipement des forces navales russes en la matière et des faibles performances supposées des torpilles qui sont versées, qui plus est en quantité trop faible.

Des « trous noirs » faiblement armés

La sphère maritime russe se plaît à évoquer le surnom de « trous noirs » qui aurait été donné aux sous-marins classiques d’attaque de type Kilo (Projet 0636.3) par les experts étrangers. Toutefois, certains observateurs russes font aussitôt remarquer que, si les SSK du Projet 0636.3 seraient bien caractérisés par une grande discrétion acoustique, celle-ci ne leur serait finalement que d’une aide très relative dans les conditions d’engagement face à un sous-marin otanien ou japonais (type Soryu). Et pour cause, les torpilles qui équipent ces « trous noirs » – nous y reviendront – seraient moins performantes que celles mises en œuvre par les potentielles sous-marinades adverses, dont les torpilles Mk-48 américaines (pour ne citer que ce modèle). Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est l’exemple de l’engagement contre un sous-marin turc (de manufacture allemande – Type 209, et dans quelques années, Type 214 équipés de torpilles américaines Mk-48) en mer Noire qui revient de façon récurrente. En mer Baltique, c’est la sous-marinade allemande qui est mise en avant, plus que la suédoise.

Des fournitures qui ont repris avec parcimonie

Bien que les informations sur ce sujet soient parcellaires, on apprend que la torpille à propulsion thermique Fizik, dont les travaux de conception auraient débuté dans la deuxième moitié des années 1980, serait entrée en service dans la marine russe en 2017, et que celle-ci disposait de 20 exemplaires de cette munition en 2018. Affichant une portée de 50 km et une vitesse maximale de 50 nœuds, elle équiperait en priorité les SNLE de type Boreï et les SSGN de type Yasen. En mars 2017, la presse annonce que la torpille Fizik 2 devrait entrer sous peu en service dans la marine. Baptisée « Futliar », elle est alors présentée comme devant finaliser ses tests au centre d’essais des torpilles du lac Issyk-Koul (Kirghizstan) avant d’être produite en série au Daghestan, par Dagdizel. Elle a certainement par ailleurs dû être testée sur le polygone situé au large de Féodossia (au moins pour la partie lancement), comme la plupart des armes et munitions sous-marines russes. Il s’agit d’une évolution de la torpille Fizik (« Fizik-1 ») disposant d’un nouveau combustible et d’un système de guidage avancé lui donnant une plus grande portée. Elle aurait été versée en priorité à la flotte du Nord pour équiper les SNLE de type Boreï (Projet 955) et le SSGN Severodvinsk (Projet 885).

La torpille Fizik 2

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Au mois de février dernier, le directeur de la corporation (korporatsiya) « Armes de missiles tactiques » (KTRV) annonce que les essais d’une « nouvelle torpille » sont achevés, sans aucune autre précision sur le type de munition. La presse spécialisée en déduit qu’il s’agit très probablement de la torpille à propulsion électrique UET-1, développée sous le nom de code « Ichtyosaure » par Reguion, qui a poursuivi après 2015 le projet initié par Dagdizel. La UET-1 est une torpille de 533mm disposant d’une portée de 25 km (contre 18 km pour son aînée UCET-1) et peut atteindre une vitesse de 50 nœuds. Il serait prévu d’en livrer 73 unités à la marine d’ici 2023. Le prix unitaire serait de 100 millions RUR.

Ces torpilles doivent prendre la relève de la torpille UCET-1 introduite dans la sous-marinade soviétique au début des années 1980.

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Chargement d’une torpille UET-1 à bord du SSK B-261 Novorossiïsk (Projet 0636.3, flotte de la mer Noire) à Sébastopol, le 29 mai 2018. Source : Sevastopol gallery

Les torpilles russes : un bref récapitulatif

Quelques torpilles étrangères (à titre de comparaison)

La brève comparaison de ces tableaux tend à indiquer que les performances des torpilles occidentales et de celles russes de type Fizik et Fizik 2 paraissent relativement proches dans l’absolu (indépendamment des conditions d’emploi, de salinité de l’eau, de profondeur etc.) En revanche, les torpilles UET-1 disposent de caractéristiques inférieures en termes de portée. En plus des caractéristiques elles-mêmes, c’est bien la quantité des munitions qui risque de poser problème dans la mesure où :

  • la marine russe dispose d’une sous-marinade éclatée sur 4 théâtres (mer Noire/Méditerranée, Baltique [1 SSK, certes], Nord et Pacifique],
  • si l’on part du principe que le nombre moyen de submersibles en activité tourne autour de 20, cela donne moins de 4 torpilles/sous-marin dans le cas de la UCET-1, par exemple. Pour la Fizik, cela donnerait 1 torpille/sous-marin (2018).
  • qualitativement, la marine russe doit aussi développer des munitions adéquates pour « traiter » les porte-avions ennemis,

Torpille de croisière : la relève ?

La nécessité de repérer, traquer et le cas échéant, détruire, les groupes de porte-avions américains amènent l’URSS à concevoir des torpilles de croisière. En 1977, la marine soviétique reçoit la torpille de croisière Shkval (« Bourrasque ») de 533 mmm que l’on ne présente plus. Conçue par le bureau Reguion, cette torpille à supercavitation disposait d’une vitesse de 200 nœuds (370 km/h) et elle pouvait être équipée d’une tête nucléaire tactique de 150 Kt. Autrement dit, la cible avait bien peu de chance de pouvoir entreprendre une manœuvre d’évitement, compte-tenu de la vitesse de la munition lui fondant dessus. Toutefois, la torpille Shkval disposait de faiblesses limitant son emploi (de manière quasi rédhibitoire) : tirée par une trentaine de mètres de fond, elle filait en direction de sa cible par moins de 6 mètres de profondeur, en créant une trainée blanche en surface en raison des bulles d’air qui remontent. En outre, le bruit qu’elle dégageait, ainsi que la ligne blanche à la surface de l’eau, indiquaient la position du SSGN qui venait de la tirer aux forces ASM ennemies. Enfin, sa portée très limitée  – une quinzaine de kilomètres – obligeait le submersibles à s’approcher très près du PA, l’exposant dangereusement là aussi aux moyens de lutte ASM.

La torpille de croisière Shkval, « tueuse de porte-avions ». Source : oruzhié rossii.

Au demeurant, le déploiement de groupes de porte-avions par les États-Unis continue d’être perçu comme une menace potentielle par la marine russe et le développement d’une nouvelle torpille de croisière aurait été entrepris dès le début des années 2010. Elle serait développée sous le nom de code « Khichnik » (« Prédateur ») ou « Khichnik-M » par Elektropribor (Saratov) qui aurait reçu en 2013 une enveloppe de 1,5 milliard RUR pour les travaux de développement de la part du ministère de la Défense. Le défi sera de conserver des caractéristiques « de croisière » tout en réduisant les carences du « Shkval », ce qui a amené nombre d’observateurs à conclure que la future torpille de croisière serait une nouvelle munition, plus qu’une évolution de sa grande sœur.

source : Le portail des forces navales de la Fédération de Russie