Sous-marin espion : Le sous-marin russe AS-31 Losharik

Peu d’autres sous-marins font l’objet d’autant de spéculations et d’intérêt que l’insaisissable et très secret Losharik (AS-31, parfois désigné par son ancien numéro AS-12), bateau d’ingénierie et de missions spéciales de plongée profonde (« station nucléaire profonde (AGS) », lire « sous-marin espion »). Il est exploité par la marine russe pour le compte de la GUGI (Direction principale de la recherche en mer profonde). Le 1er juillet 2019, un incendie s’est produit dans lequel 14 membres de l’équipage sont morts. RIP.

Pour la mission fatidique, le sous-marin hôte, BS-64 Podmoskovye, a d’abord fait escale à Severomorsk. Il est arrivé le 24 juin. Je crois que le Losharik était déjà sous elle. Ils étaient accompagnés d’un sous-marin lanceur de missiles de croisière (SSGN) de classe Pr.949A OSCAR-II. Il s’agit peut-être d’une coïncidence, mais cela pourrait aussi être pour assurer une protection pendant certaines phases de la mission.

Le SNLE Pr.941 TYPHOON TK-208 Dmitriy Donskoy était également présent, et il a été signalé par la suite qu’il avait participé à des exercices anti-sous-marins à peu près à la même époque. Il n’est pas certain qu’il y ait un lien entre la présence de ces trois sous-marins. Pour le BS-64, l’escale à Severomorsk peut avoir été faite pour embarquer des torpilles. Ils ont appareillé le 25 juin vers 12h00, cinq jours avant le funeste accident.

Dans l’après-midi du 1er juillet, un incendie se déclare dans le compartiment de la batterie du Losharik. Le sous-marin est construit à partir de sept coques sphériques en titane reliées entre elles, à l’exception des deux coques arrière inhabitées qui contiennent le réacteur nucléaire et les machines. L’ensemble des dites sphères, qui restent invisibles sous une coque extérieure profilée, est à l’origine du surnom du sous-marin.

L’accident s’est produit très près de la côte russe, apparemment alors que le Losharik s’amarrait au BS-64. Le feu s’est déclaré dans le compartiment des batteries (les sous-marins nucléaires ont des batteries de secours). Certains membres de l’équipage, dont le capitaine, seraient restés dans le compartiment touché pour assurer la sécurité des autres. Ce sont ces hommes qui ont péri.

Le Losharik a pu s’amarrer au BS-64, qui est rentré à vice allure à Severomorsk pour débarquer les sous-mariniers blessés. A minuit, un média local, SeverLife.ru, révélait l’évènement : Ils annonçait 10 à 14 décès et quelques cinq blessés dont Deux en urgence vitale. L’article a ensuite été retiré.

Un masquage a couvert un panneau du pont du BS-64. On ne pouvait savoir que le sous-marin blessé y était camouflé, en pontée du sous-marin hôte visible. Alors que l’histoire faisait encore les gros titres dans le monde entier, le 4 juillet, le BS-64 est discrètement revenu Olenya Guba. Un même camouflage y a été adopté

Ce n’était pas le premier accident du Losharik. En 2012, il avait endommagé ses bras manipulateurs lors d’une mission sous la calotte glaciaire. Cette fois, l’accident n’avait pas été fatal. Le Losharik sera probablement remis en service. Entretemps,le BS-64 s’est entraîné avec un submersible, sur batterie, en pontée et peut-être comme substitut. Les missions « secrètes » vont se poursuivre.

Le BS-64 est le successeur de deux familles de sous-marins pour de telles missions spéciales construits pendant la guerre froide : la classe X-RAY (40 m de long) et la classe UNIFORM (70 m de long) du projet 1851. Les X-RAY étaient très proches du sous-marin américain NR-1, sinon qu’ils étaient conçus pour être transportés « en ventral » par un sous-marin plus grand pour plus de discrétion. L’UNIFORM avait une mission similaire mais était plus grand pouvait transiter indépendamment vers sa mission. Le Losharik combine les caractéristiques de ces deux sous-marins : de taille similaire à l’UNIFORM il est transporté par un autre sous-marin.

Il porte le nom d’un cheval de dessin animé russe (Лошарик ) [NDLR : sans publicité !], ce qui donne un indice sur sa construction inhabituelle. La marine russe le garde secret et, malgré des années de recherches, on en sait relativement peu sur lui. Au fil du temps, de plus en plus de photos ont été publiées, mais elles sont toujours floues et n’ont pas encore révélé « le dessous des cartes » qui se trouve bien sûr sous la ligne de flottaison. Néanmoins, l’analyse des photos, les discussions avec les sources, les supputations et avis éclairés permettent d’e dresser un tableau assez précis

Spécifications

Notez que les spécifications disponibles en ligne pour ce sous-marin sont souvent incorrectes. Celles ci-après sont les meilleures estimations :

  • Bateau : AS-31 (Numéro d’usine : 210) « Losharik ».
  • Classe : Projet 10831 (OTAN : Norsub-5)
  • Mis à l’eau : 16 juillet 1990
  • Lancement : 26 août 1995
  • Entrée en service : 1997
  • Déplacement : <1,000 tonnes
  • Vitesse : 10-11kts en immersion (estimation)
  • Profondeur opérationnelle : 1,000m
  • Longueur : ~70m
  • Diamètre : ~7m
  • Centrale électrique : 1 réacteur nucléaire ( 5MW estimés) entraînant une ligne d’arbres et une hélice.
  • Equipage : 25

Disposition interne

On a longtemps pensé que, comme son homonyme, Losharik était constitué d’une série de sphères jointes. L’analyse des images satellites du navire en cale sèche à Severomorsk confirme cette hypothèse, et nous permet d’affirmer avec une certaine confiance qu’il y a sept sphères. Les coques sphériques sont fréquemment utilisées dans les sous-marins à très grande profondeur car elles sont plus résistantes que les cylindres ordinaires, mais moins commodes pour y vivre. Bien que le bateau fasse environ 70 m de long, l’espace interne est ainsi beaucoup moins important que celui d’autres sous-marins de dimensions similaires : toutes les cloisons sont incurvées. Cela lui permet toutefois de plonger à environ 1 000 m de profondeur. Les sphères sont construites à partir d’un alliage de titane et contenus dans une coque extérieure profilée donnant l’apparence d’un sous-marin ordinaire. Elles ont un diamètre d’environ 6 m, ce qui donne un volume interne « sec » total d’environ 1 000 m3, soit l’équivalent d’une « résidence américaine moyenne ». Imaginez donc votre maison avec trente-cinq hommes, un réacteur nucléaire et aucune cloison verticale contre laquelle appuyer quoi que ce soit !

la 7ème sphère (extrême arrière) est probablement dédiée à la propulsion. . Elle dispose d’un panneau . Les batteries et le moteur diesel de secours (s’il y en a un) sont probablement dans les compartiments sur l’avant.

Sous-marin porteur

Comme le sous-marin nain de classe X-RAY du projet 1851, le Losharik est transporté et soutenu dans sa zone d’opération par un SNLE modifié. Un sous-marin DELTA-III STRETCH converti est co-localisé à Deer Bay avec le Losharik.

Cette vue montre clairement la modification de la coque au droit de l’ancienne tranche missiles, qui permet au Losharik de se « clamper ».

Autres photos

Bien que fortement « blanchie » et ne révélant pas l’équipement de mission spéciale, cette illustration provenant d’une source de la marine russe est considérée comme une bonne représentation de la forme générale et laisse entrevoir de nombreux détails.

Base secrète : Olenya Guba

Le Losharik est la star du spectacle parmi une série de bateaux de missions spéciales basés à la base Olenya Guba de la flotte du Nord de la marine russe. Cette base est l’une des nombreuses bases établies par les Soviétiques pendant la guerre froide sur la péninsule de Kola, inhospitalière mais stratégiquement importante, loin de toute civilisation.

Images satellites de la base de sous-marins de missions spéciales sur la péninsule de Kola (grossièrement 69°12’58 « N, 33°22’42 « E) où le Losharik est gardé sous couvert (A). Un sous-marin de classe UNIFORM du projet 1910, plus ancien mais toujours opérationnel, est souvent amarré devant le hangar (B).

Source: HI Sutton