Retour de mission en mer de Chine du sous-marin «Émeraude »

La rédaction de « Plongée », honorée par l’aimable autorisation d’insertion donnée par le quotidien « Le Monde », l’en remercie.

Photo ©Francis Jacquot

Il est le premier sous-marin nucléaire français déployé en près de vingt ans dans la zone indo-pacifique, où les exercices militaires se multiplient

Son arrivée était très attendue par la marine française. Un sous-marin ­nucléaire d’attaque (SNA) français est revenu, mercredi 7 avril, s’amarrer en rade de Toulon, à l’issue d’un périple de sept mois l’ayant mené pour la première fois en près de vingt ans dans la zone indo-pacifique, et notamment jusqu’en mer de Chine méridionale. Une région où la France tenait depuis longtemps à faire savoir qu’elle est en mesure de se projeter, si nécessaire, avec de tels moyens, alors que les tensions et manœuvres se multiplient dans ces eaux ­contestées, notamment par la Chine et les Etats-Unis.

Pour ce retour de mission sous un franc soleil de printemps battu par le mistral, l’Emeraude, l’un des six SNA dont dispose la France, et tout son équipage, ont eu les honneurs du chef d’état-major de la marine, l’amiral Pierre Vandier, qui avait fait le déplacement pour saluer cette « mission d’intérêt stratégique ». Mais c’est surtout la médiatisation de ce retour, tout au long du périple de l’Émeraude ces derniers mois, qui constitue la marque d’importance de ce déploiement. D’ordinaire, un secret absolu est maintenu sur les missions des sous-marins français.

« Une mission pionnière »

Dès octobre 2020, la marine australienne, relayée par la ministre française des armées Florence Parly, avait ainsi fait savoir, sur les réseaux sociaux, que l’Emeraude avait atteint Perth, où se sont ­ensuite déroulés des exercices conjoints. Une communication a aussi eu lieu en novembre 2020, quand il a fait escale sur l’île américaine de Guam, dans le Pacifique. Des exercices conjoints ont également suivi. Enfin, le chef de l’Etat lui-même, Emmanuel Macron, a fait une entorse à la discrétion habituelle sur les missions des sous-marins, en évoquant l’Emeraude, lors de ses vœux aux armées, en janvier.

La mission du SNA français, ­baptisée « Marianne », a nécessité deux ans de planification. Notamment du fait de sa durée (sept mois contre trois maximum habituellement), de son itinéraire (dans des eaux mal connues de la marine), et de contingences opérationnelles : avec six SNA, la France dispose d’une flotte relativement petite, ce qui limite le nombre de ses engagements. « C’était une mission pionnière », estime le capitaine de frégate, Antoine Delaveau, un des deux « pachas » de l’Emeraude, qui a piloté le voyage aller jusqu’à Guam, avec 70 hommes, avant la relève d’un autre équipage.

Au-delà de l’expérience accumulée au fil de ces milliers d’heures de plongée, le périple du SNA français aura été l’occasion de mettre à jour les relevés hydrographiques dont disposait la marine. Ces sept mois de mer auront aussi été une opportunité pour afficher des liens resserrés avec des alliés comme l’Australie et les Etats-Unis. Ou encore de naviguer avec la flotte de pays comme le Japon et surtout l’Indonésie, qui cherche à muscler ses forces navales face aux assauts chinois contre ses eaux territoriales. Djakarta pourrait ainsi se laisser tenter par l’acquisition de sous-marins français.

Avant l’Émeraude, seuls deux SNA français s’étaient aventurés officiellement aussi loin aussi longtemps. La première fois, c’était en 1983 : le Rubis avait alors navigué jusqu’en Nouvelle-Calédonie et avait fait escale à Nouméa. La seconde fois remonte à 2002, lorsque la Perle – ravagée par un incendie à l’été 2020 – avait fait le voyage. Pour cette troisième mission du genre en un peu moins de quarante ans, l’Emeraude était accompagné par la Seine, un navire de soutien et d’assistance (dit BSAM) chargé notamment de son ravitaillement.

« Affirmer notre légitimité »

A l’exception d’une fuite de gaz fréon, vite réparée avant de franchir le canal de Suez, le SNA français n’a officiellement rencontré aucune difficulté particulière durant son déploiement, de septembre 2020 à début avril. Interrogé sur les conditions dans lesquelles s’est faite la traversée de la mer de Chine méridionale, et les éventuelles tensions rencontrées dans ces eaux sensibles, le capitaine de frégate Julien Leblanc, deuxième « pacha » qui a dirigé le voyage ­retour du sous-marin, s’est ­contenté, vendredi, d’un « pas de commentaires particuliers ».

« Notre ambition était de pouvoir affirmer notre légitimité à ­naviguer sur toutes les mers du globe », « sans agressivité aucune », ont temporisé les autres gradés présents à ses côtés, notamment Anthony Salmon, commandant de la Seine, conformément à la doctrine de la France dans cette région. En avril 2019, les choses s’étaient moins bien passées pour une frégate française qui naviguait dans le détroit de Taïwan. Alors que la circulation est libre dans ces eaux internationales, des navires militaires chinois avaient notamment intimé l’ordre à ce bateau – le Vendémiaire – de quitter les lieux.

Ce retour du sous-marin l’Émeraude intervient dans un contexte de multiplication des exercices militaires dans la zone indo-pacifique – que ce soit côté occidental, avec des partenariats de tous ordres entre la France, les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, et récemment l’Inde, qui s’est jointe à des manœuvres conjointes avec les marines de ces quatre pays réunis, du 5 au 7 avril, dans le golfe du Bengale, ou côté Chine, qui voit dans ces alliances une volonté implicite de créer un «mini-OTAN» en Asie-Pacifique. Le 5 avril, la République populaire a annoncé, de son côté, vouloir rendre annuels des exercices à proximité de Taïwan, dont elle revendique la souveraineté.

Le périple du SNA français s’inscrit dans un souci plus global des armées d’assurer des missions «longue distance». Notamment en raison des millions de km2 de zone économique exclusive de la France éparpillés entre l’océan Indien et le Pacifique. Si les moyens français demeurent, à eux seuls, dérisoires face à ces étendues, ­Paris mise sur les partenariats avec des pays alliés pour compenser ses capacités limitées. Du 20 janvier au 5 février, 150 aviateurs français se sont par exemple entraînés lors d’un vaste exercice baptisé « Skyros », au cours duquel ils ont effectué 14 000 kilomètres et ont notamment volé avec des Rafale indiens.

source : Le Monde International – Élise Vincent -10 avril 2021