Losharik : drame dans les profondeurs

Une dizaine de jours s’est écoulée depuis l’accident qui a affecté un sous-marin nucléaire russe en mer de Barents. Que retenir de cette avarie qui a coûté la vie à 14 hommes d’équipage ?

De quel(s) submersible(s) parle-t-on ?

D’abord présenté comme étant le sous-marin nucléaire AS-12, l’engin accidenté s’est rapidement révélé être en réalité l’AS-31 Losharik, un des submersibles les plus secrets de la marine russe. Ce submersible dédié aux opérations spéciales, et son unité de rattachement, ont bénéficié pendant plusieurs jours d’une publicité dont ils se seraient bien passés… Nombre de détails, plus ou moins exacts, les concernant ont ainsi été publiés dans la presse russe, qui s’est révélée être d’une étonnante grande richesse d’informations.

Une image prise « par hasard » du Losharik en immersion lors du tournage de l’émission Top Gear.

L’AS-31 Losharik est un sous-marin nucléaire (Projet 10831) opéré par la 29e brigade autonome des sous-marins de la flotte du Nord, une unité discrète rattachée à la Direction principale pour la plongée par grande profondeur (ГУГИ pour l’acronyme russe) du ministère russe de la Défense. Plus précisément, on parle de « station atomique de plongée », pour un engin qui a vocation à opérer par très grande profondeur : jusqu’à 6000 mètres. Le terme Losharik trouve son origine dans un dessin animé soviétique qui mettait en scène un personnage dont le corps est composé d’une succession de petites boules. L’emploi de ce nom ferait référence à la structure interne des compartiments du submersible, qui peut ainsi mieux affronter les très fortes pressions auxquelles il est confronté lorsqu’il évolue dans les abysses.

Le Losharik est mis en œuvre par un sous-marin porteur – ou vaisseau mère – sur le « ventre » duquel il est arrimé :  le BS-136 Orenbourg.

Le BS-136 est un ancien SNLE de troisième génération du Projet 667BDR (ex K-129) requalifié et modifié en 1994 en Projet 09786 pour réaliser des missions spéciales. On le voit bien : ici, il n’est ni question de torpilles, ni de missiles balistiques ou de croisière. Alors, à quoi servent ces engins ?

Un Losharik : pour quoi faire ?

Le Losharik est conçu pour réaliser un spectre de missions discrètes, sensibles et souvent risquées. Par exemple, c’est lui et son équipage qui, en 2012, passent près de 20 jours dans les eaux arctiques et remontent 500 kg de sédiments des fonds de l’Océan. Pourquoi ? Pour appuyer les revendications de la Russie qui souhaite voir reconnue l’extension de son plateau continental dans la zone arctique. Plus délicat, en mars 2016, la presse française se fait l’écho de la présence d’un SNLE russe dans le fond du Golfe de Gascogne. En fait de SNLE, il se pourrait bien que ce soit le Losharik qui ait été à l’époque repéré (ou se soit laissé repérer…) dans une zone où transitent de nombreux câbles sous-marins. Et c’est bien là un des autres emplois de ce submersible : le piégeage ou la destruction de câbles sous-marins, de même que la pose de stations d’écoute. Enfin, l’AS-31 a aussi vocation à récupérer les munitions perdues au fond de l’eau. Par exemple, si des essais de nouvelles torpilles ou de drones sous-marins conduisent à un échec et qu’il faut récupérer le prototype avant qu’il ne tombe entre les mains d’une puissance étrangère, c’est au Losharik que l’on fait appel. De même s’il fallait récupérer des éléments de la carcasse d’un appareil étranger abîmé en mer, dont les secrets pourraient s’avérer être intéressants.

Que s’est-il passé le 1er juillet dernier ?

Alors qu’il réalise un exercice sur un polygone en mer de Barents, le Losharik est victime d’un incendie qui se déclare à l’intérieur d’un des compartiments. L’incendie et la fumée qui se dégagent tuent 14 membres d’équipages qui tentent de ramener héroïquement le bâtiments à la base. Il est fait état de 4 membres d’équipages survivants qui sont immédiatement acheminés vers un hôpital militaire à Severomorsk, la base principale de la flotte du Nord. Ce sont les éléments qui sont rapidement divulgués dans la presse.

Contrairement à ce qu’on a pu lire çà et là, la communication des autorités russes sur cet accident s’est révélée bien maîtrisée. Après quelques heures de flottement, le Kremlin et le ministère de la Défense s’expriment. L’identité des marins décédés est plus tard communiquée tandis que, compte-tenu de la sensibilité de l’unité concernée, il est clairement fait état qu’aucun détails ne sera livré. Aussi, les parallèles qui ont pu être fait avec le drame du Koursk n’ont guère lieu d’être. Au-delà du fait que l’accident touche la marine, il y a peu de similarités : les sous-marins ne sont pas les mêmes ; l’AS-31 n’a pas été perdu ; une partie de l’équipage du Losharik a manifestement survécu… Enfin, le Kremlin ne s’est pas terré dans un mutisme assourdissant pendant près de 36h, comme en 2000…

Plusieurs jours après l’accident, on en sait un peu plus sur les circonstances du drame. Un article très documenté de Fontanka publié ce jour affirme révéler l’origine du drame, en s’appuyant sur des sources différentes et anonymes, en relation avec les « structures » impliquées. Aussi, alors qu’il opère par un peu plus de 300m de fond, le Losharik entame la phase d’arrimage au BS-136. Cette phase délicate nécessité l’activation de petits propulseurs électriques qui corrigent en permanence la trajectoire du submersible. Ces petits moteurs électriques sont eux-mêmes alimentés par des batteries lithium-ions, et non pas par le réacteur nucléaire de l’AS-31. Et c’est justement l’explosion d’une de ces batteries qui aurait causé le drame. D’après Fontanka qui cite une des sources, l’onde de choc de l’explosion aurait été telle, qu’elle aurait été ressentie y compris dans le BS-136 par son équipage… Les hommes présents dans le compartiment des accumulateurs de l’AS-31 auraient été tués sur le coup. Néanmoins, la phase d’arrimage aurait été complétée avec succès et les survivants, évacués à bord du vaisseau-mère. Toutefois, à ce stade, l’incendie n’aurait pas été totalement maîtrisé. Face au danger d’une nouvelle explosion, Fontanka explique que l’équipage du vaisseau-mère aurait pris la décision d’inonder le Losharik. C’est donc un AS-31 rempli d’eau qui est ramené à la base, ce qui implique une masse importante supplémentaire à emporter pour le BS-136 qui y est manifestement parvenu.

Pourquoi y avait-il autant de gradés à bord du Losharik ?

Un autre élément a retenu l’attention des observateurs : la qualité de l’équipage et des hommes décédés. Deux Héros de la Russie et 7 Capitaines de premier rang (ce qui équivaudrait à un rang de Capitaine de vaisseau dans la marine française…). En réalité, ce niveau n’est pas surprenant pour une telle unité, qui s’apparenterait chez nous (comparaison n’étant pas raison) au CEPHISMER. Les hommes qui y sont affectés – les hydronautes – appartiennent à l’élite de la flotte sous-marine russe et comptent parmi les éléments les plus qualifiés et les plus entraînés de la marine russe. En outre, la tradition russe (ex-soviétique) de formation dans les forces armées veut que les hommes soient hautement spécialisés sur un panel de tâches relativement restreint. Ceci engendre une inflation dans les effectifs des équipages, par comparaison avec ce qui se fait dans les armées et marines occidentales, qui privilégient la polyvalence des hommes sur les postes (et donc des effectifs plus resserrés).

Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une lourde perte qualitative pour la marine russe. La formation d’un tel équipage nécessite de très longues années…

source : Portail des forces navales de la Fédération de Russie