Les classes 971 Akoula et 949A Oscar II vont connaître un allongement de leur durée de vie de 20 ans. Épisode 1.

Sortie de forme du K-328 Leopard

À l’occasion de la Journée du sous-marinier (19 mars), annonce est faite que tous les sous-marins des classes 971 Akoula et 949A Oscar II vont connaître un allongement de leur durée de vie de 20 ans, et qu’ils seront armés de missiles Kalibr-PL et 3M22 Tsirkon (Zircon). Comment la marine russe en est-elle arrivée à faire un tel choix, et est-il réalisable ? Pour ce faire, il nous faut tout d’abord revenir un peu en arrière, à l’époque de l’URSS.

1.   Le cycle de vie

Dans le système soviétique, la durée de vie contractuelle d’un sous-marin s’établissait à trente ans.

Pendant ce laps de temps, le sous-marin passait par des périodes d’entretien définies de la manière suivante :

Les « Tekuchiy Remont », alias « Arrêts Techniques Intermédiaires » [ATI] planifiés tous les 3,5 ans, les « Sredniy Remont », alias « Arrêts Techniques Majeurs » [ATM] prévus tous les 10 ans. Et pour mémoire, par les « Kapitalniy Remont », alias Refontes.

1.1. Les ATI

       Le sous-marin est mis au sec, le plus souvent sur dock pour nettoyage et peinture des œuvres vives, contrôle et nettoyage des éléments de sécurité / plongée (compresseurs, bouteilles d’air HP, caisses de ballast), réparation du revêtement anéchoïque externe, etc. Cet arrêt est aussi mis à profit pour réparer les différents éléments qui se montrent défectueux à l’usage ou qui ont une durée de vie limitée.

1.2. Les ATM

       Le sous-marin est aussi mis au sec, mais dans une forme couverte. Tout ce qui concerne la sécurité plongée est désossé et minutieusement contrôlé. Les œuvres vives et les caisses de ballast sont incluses dans la liste des travaux. Si nécessaire, le cœur radioactif est remplacé, et les obsolescences sont reprises. Cet arrêt est aussi mis à profit pour entreprendre l’installation de nouveaux matériels ou la modernisation des existants.

1.3. Les refontes

       Il s’agissait d’une opération plus lourde visant à adapter un sous-marin existant à une nouvelle mission. Par exemple, passage d’une fonction de sous-marin nucléaire lance-missiles aérodynamiques (SSGN) à celle de sous-marin nucléaire d’attaque (SSN).

Dans ce système idéal, un sous-marin devait passer par deux ATI entre les ATM, et par deux ATM au cours de son existence. En tablant sur les durées idéales de six mois pour les ATI et de 24 pour les ATM, l’unité demeurait en chantier pendant 7 ans pour 34 ans d’existence. Soit un taux de présence en ligne d’environ 80 %. Bien entendu, en écartant tout aléa d’avarie ou d’allongement des travaux.

2.   L’organisation industrielle

   Pour la construction de sous-marins, les travaux sont partagés entre deux intervenants (si l’on écarte l’intervention de la Flotte). La classe de sous-marin est tout d’abord élaborée par un bureau qualifié de « Bureau de Projet » dans la terminologie soviéto-russe.

Le siège social de Rubin

Les plans sont ensuite transmis à des chantiers de construction qui procèdent au montage et à la livraison du sous-marin.

Cette dichotomie pose déjà problème dans la mesure où les uns et les autres sont souvent très distants, et que les plans nécessitent invariablement des adaptations que le chantier doit réaliser, adaptations qui ne figurent pas forcément sur les plans. Chaque chantier peut décider d’une adaptation à sa guise, différente de celle d’un autre chantier.

Le résultat en est que chaque unité est quasiment unique.

Alors, lorsqu’un sous-marin doit entrer dans le cycle d’entretien, les travaux relèvent vite du casse-tête. D’autant que ces travaux sont confiés à des chantiers dit d’entretien, les SRZ (Sredniy Remontniy Zavod), sans forcément en lien avec les constructeurs. Aujourd’hui, pour les sous-marins d’armes, il ne subsiste que deux bureaux de projet, Rubin et Malakhit. Dans la chaîne de construction, plusieurs chantiers ont soit disparu, soit ne montent plus de sous-marins (Krasnoye Sormovo à Nizhniy Novgorod, chantier de Komsomolsk Na Amure), soit encore ne font plus partie de la sphère d’intérêt russe. Il en va de même pour les sous-traitants, comme le fabricant de câbles spécialisés pour sous-marin qui était encore récemment situé à Marioupol… en Ukraine.

 » Le SRZ Nerpa

La tâche des SRZ devient alors très complexe, phénomène aggravé par la Flotte qui se montre incapable de chiffer avec précision les travaux à réaliser, ce qui induit des procès à répétition. Enfin, et le sujet n’est pas près d’être réglé, les détournements de fond restent une plaie. Il y a quelques semaines encore, le directeur d’un chantier impliqué dans la modernisation du porte-avions Kouznetsov a été arrêté pour ce motif. Du côté de la Flotte, une prise de conscience bien tardive a eu lieu le 11 mars 2020 avec l’instauration d’un centre de contrôle de la construction, de la réparation et de la modernisation au sein de l’état-major de la Marine. Pourtant, le problème n’est pas récent. À l’époque soviétique déjà, le taux de sous-marins en ligne de la classe 667 n’était que 23 %, du fait de la durée des entretiens majeurs qui s’élevaient à trois ou quatre ans, à la place des 2 ans initialement prévus. En flotte du Nord la cible de 50% ne sera atteinte que dans les années 80, tandis qu’en Extrême Orient les ATM n’ont jamais duré moins de 30 mois.

3.   Les modernisations en cours

Quatre modernisations ont été annoncées ou sont en cours

3.1. Les classes 949AM

Le missile P-700 Granit représentait à sa mise en service en 1980 une formidable arme contre les groupes aéronavals adverses. Les porteurs, 949 Oscar I et 949A Oscar II, s’appuyaient entre autres sur un système de désignation satellitaire dénommé Legenda.

Un missile Granit

Mais dès les années 2000, cette capacité de frappe à distance paraissait déjà insuffisante. Après de nombreuses tergiversations, et l’asséchement des crédits, Rubin propose à la Flotte au début des années 2010 un projet de modernisation. Le contrat est signé le 5 avril 2013.

Un seul chantier émerge finalement pour cette opération, Zvezda à Bolchoy Kamen, à proximité de Vladivostok, alors que l’on sait déjà que ce chantier n’a jamais été capable de tenir les délais des ATM (voir ci-dessus).

Le contrat pour la première unité, le K-132 Irkoutsk, est signé également le 5 avril 2013, Rubin devant fournir la documentation technique pour janvier 2016.

La modification la plus notable consiste à rendre ces unités capables des missiles 3M54 Kalibr-PL, 3M55 Oniks et à terme 3M22 Tsirkon, en lieu de place des P-700 Granit. Les tubes actuels sont remplacés par 24 tubes SM-878 permettant un embarquement de 3 Oniks ou 4 Kalibr-PL, la cible prévue étant un panachage à 48 missiles. La capacité de frappe contre des cibles terrestres devient plus importante, même si depuis cinq ans quelques tirs de Granit ont été réalisés contre ce type de cible.

Très vite, le nombre d’unités à modifier passe de quatre à six, puis à toutes les unités, puis en juin 2017, il retombe à quatre. Aux dernières nouvelles, il n’est même pas évident qu’il dépasse les deux unités. La marine russe espère en effet disposer de six 949A Antey et un 949AM en 2023.

Le K-132, arrivé au chantier vers 2001, n’a pas dépassé en 2013 35% de son temps en ligne. Le glissement de la date de remise en service est continu, et ce n’est qu’en avril 2019 que le financement des travaux est effectif. Il est attendu pour 2023.

Le second, le K-442 Tcheliabinsk, est en réserve depuis 14 ans. Arrivé au chantier en 2014, il attend que l’un des emplacements de la forme couverte du chantier Zvezda se libère. Son retour est prévu deux ans après le K-132.

Et pour le 3ème, le K-456 Tver, il semblerait, d’après une information de juin 2020, que cette modernisation soit abandonnée.

Cette nouvelle dotation pose aussi la question de l’approvisionnement en nombre des missiles qu’il va falloir budgéter.

La durée de vie étant allongée de 20 ans, la dernière unité en chantier, le K-442, quitterait le service en 2045. Soit 54 ans d’existence !

3.2. Les classes 971M

Selon les déclarations faites le 9 mars, tous les sous-marins de la classe 971 Akoula vont être modernisés et être équipés de missiles Kalibr-PL et 3M22 Tsirkon. Ils seront également portés au niveau technique des 885 Yasen.

Ces sous-marins ne disposant pas de tubes de lancement verticaux, et ce dernier missile n’étant pour l’heure lancé qu’à la verticale, cette dernière affirmation est déjà sujette à caution.

Lancement d’un 3M22

Pour la modernisation, le cycle a déjà débuté chez Zvezdochka à Severodvinsk. Quatre sous-marins sont au chantier, arrivés entre 2011 et 2014, les deux derniers en provenance de la flotte du Pacifique sur un navire porte colis lourd, le Transshelf.

Le premier entré dans le cycle est le K-328 Leopard. Arrivé au chantier en 2011, son retour en service a constamment glissé depuis 2014. Sorti de la forme couverte le 25 décembre dernier, il pourrait revenir en ligne au deuxième semestre 2021. Le second, le K-461, ne le serait qu’en 2023.

Pour les deux derniers, l’un, le K-295, devrait regagner son port base en 2023, tandis que le K-391 Bratsk ne serait prêt qu’en 2026… et loué à l’Inde. Ce sous-marin avait été mis sur dock flottant au chantier Zvezda en 2007, et malgré 250 millions de roubles payés, les travaux n’avaient toujours pas avancé d’un pouce à la date de son transfert chez Zvezdochka.

Le dernier modernisé quitterait ainsi le service en 2043, soit à l’âge de 48 ans.

Aucun contrat ou amorce de contrat n’a été signé pour les six autres qui figurent encore au parc de la Flotte. Leur sort est évoqué plus avant dans la paragraphe Entretiens en cours.

3.3. Les classes 945M et 945AM

Le 3 mars 2013 la presse annonçait que ces quatre sous-marins allaient eux aussi être portés au niveau technique des classe 885 Yasen. Mais dès 2015, un blog révélait que les travaux entrepris sur le K-239 Karp (945 Sierra I) étaient stoppés. L’information avait été démentie à l’époque, mais cette opération ne figure plus dans les déclarations du commandant en chef de la Flotte en mars 2021. Les deux Sierra I sont pour l’heure à l’arrêt. Les deux 945A Sierra II sont toujours en ligne, mais leur modernisation ne semble plus à l’ordre du jour.

Deux raisons peuvent expliquer cet abandon : le chantier Krasnoye Sormovo de Nizhniy Novgorod qui les a fabriqués n’œuvre plus dans le domaine sous-marin, et les plans se seraient « égarés ». Mais plus probablement, la modification de la coque épaisse en titane est d’un coût prohibitif. C’est ce qui avait déjà conduit à l’arrêt de la modification du K-222 de la classe 661 Papa, et à son désarmement au milieu des années 80.

3.4. Les classes 877

Parmi toutes les variantes de cette classe, une seule unité, le B-800 Kaluga (877LPMB) aurait connu une modernisation entre 2002 (sic) et 2012.

Contributeur : Alain Nicolas-Nicolaz
«  « Ancien officier de marine et russophone, l’auteur s’intéresse à l’histoire des sous-marins russes et soviétiques depuis de nombreuses années. Il y a consacré un site Internet. « .

A suivre