Le sous-marin nucléaire de la Suède : L’A-11A « Atomic »

Aujourd’hui, la Suède est connue pour ses sous-marins AIP). Elle  a été pourtant été l’un des premiers pays à se lancer dans la construction d’un sous-marin à propulsion nucléaire, le développement ayant débuté en 1957. Cet article résume les principales caractéristiques des conceptions nucléaires et AIP qui ont marqué le parcours vers la classe A-11 Sjöormen à propulsion conventionnelle.

Le programme A-11 était divisé en trois courants de conception, chacun avec un système de propulsion différent. La moitié avant du bateau était la même, seule la propulsion différait. Bien qu’ils aient été nommés en A, B et C l’ordre de priorité était le suivant :

  • A-11C – Propulsion à cycle fermé (AIP)
  • A-11A – Propulsion atomique (nucléaire)
  • A-11B – Propulsion par batterie (diesel-électrique)

C’est tout de même l’A-11A à propulsion nucléaire qui retient  le plus l’attention. Il a été conçu à une époque où l’on s’attendait à ce que pratiquement tous les navires, voitures, avions et trains soient à propulsion nucléaire à un moment donné dans le futur. La marine américaine lance le premier sous-marin à propulsion nucléaire du monde le 21 janvier 1954, suivi du premier navire russe de la classe NOVEMBER le 9 août 1957. Le Royaume-Uni et la France ont rapidement lancé leurs propres programmes de sous-marins nucléaires, tout comme l’Italie (abandonné par la suite). La Suède, l’un des rares pays à construire des sous-marins à l’époque, ne veur pas être laissée pour compte. C’est pourquoi l’énergie nucléaire est  envisagé pour le projet de sous-marin A-11 d’une génération suivante .

La motivation pour les sous-marins nucléaires ne semble pas avoir été les opérations sous la glace dans le nord de la Baltique. Les sous-marins suédois ne sont pas renforcés et, partant,  et sont susceptibles d’être endommagés s’ils tentent de faire surface à travers la glace. La puissance nucléaire est plutôt considérée comme atout de  vitesse et d’endurance, permettant à un sous-marin relativement petit de contrer rapidement une invasion (soviétique)  par voie de mer.

Schéma du A-11 de 1956

Les premiers plans du sous-marin nucléaire suédois montrent un diamètre de coque de 6,1 m (20 pieds) pour  une longueur totale de seulement 42 m (138 pieds), ce qui en fait un petit sous-marin, même selon les normes suédoises. Il semble  que, comme certaines des conceptions suivantes, ce bateau n’a pas de système de rechargement des torpilles ce qui, par suppression du poste torpilles traditionnel raccourcit  ainsi le sous-marin et permet de réduire  équipage.

La coque très affinée  et un safran de barre de direction sur le bord de fuite du massif ont sans doute été influencés par l’USS Albacore, dont la Suède connaissait les détails de conception :


USS Albacore (AGSS-569). Lancé en 1953, ce bateau présentait une nouvelle forme de coque révolutionnaire qui lui permettait d’aller plus vite sous l’eau qu’en surface.

Cependant, il ne s’agissait pas d’une simple copie de l’Albacore. Contrairement au bateau américain, il était à simple coque et avait de très grands safrans de barres de plongée, semblables à des « ailes », au bas de la coque. Ceux-ci, inclinés vers le bas à 15,5 degrés possédaient des volets qui pouvaient être utilisés pour contrer  le tangage  ou pour faire giter le bateau, ceci lui permettant de tourner plus rapidement.

Les croquis ne montrent pas l’empennage arrière (gouvernails, barres de plongée) sinon l’énorme hélice à cinq pales. L’une des explications possibles de leur absence flagrante est la suppression de surfaces   importantes sur l’arrière rendues inutiles, les volets  des « ailes « et le gouvernail du massif, en conjonction avec la variation du pas de l’hélice permettant de vectoriser la poussée.

Conception nucléaire de l’A-11A en 1957

Premier projet dont les plans détaillés sont disponibles, le projet nucléaire de 1957 s’est quelque peu éloigné de l’ébauche de 1956, mais présente toujours les grandes « ailes » caractéristiques de la partie inférieure de la coque. Des barres cruciformes mobiles  sur  arrière ont été ajoutées sur l’avant d’une très grande hélice à pales orientables dans ce qui était à l’époque une conception très avancée (le premier sous-marin avec des surfaces de contrôle entièrement mobiles et une seule hélice étant l’USS Skipjack  lancé un an plus tard en 1958 !

Spécifications :

  • Déplacement en surface : 965 tonnes .
  • Longueur : 48.5m .
  • Largeur : 6,4 m .
  • Équipage 20
  • Vitesse 25+ nœuds .
  • Armement : 6 tubes lance-torpilles de 533 mm (21″) sans rechargement, 20 torpilles légères de 400 mm (15,75″) transportées à l’extérieur dans un magasin rotatif.

Il semble que les A-11A, B et C aient tous partagé une même tranche avant du bateau, les tranches sur l’arrière du massif étant différentes. Bien que plus grand que tous les sous-marins suédois précédents (le plus grand, l’A-10, ne pesait que 720 tonnes), l’A-11A n’a pour taille que le tiers de celle de la classe Skipjack de la marine américaine. Cela laisse entendre  que le blindage contre les radiations du compartiment du réacteur nucléaire du bateau devait être réduit au minimum, pour la seule protection de l’équipage. Les côtés du compartiment du réacteur étant moins sinon pas blindé, le réacteur ne pourrait pas être utilisé en toute sécurité au port. Dès lors, un générateur diesel serait utilisé pour les manœuvres dans le port. On envisageait alors le franchissement la coursive au-dessus du réacteur (pour atteindre la salle des machines à l’arrière) en 3 à 5 secondes -sinon le membre d’équipage pouvait recevoir une dose létale de radiations- et le temps maximal passé dans la salle des machines à l’arrière du compartiment du réacteur de 3,5 heures par jour. Ces limites de sécurité correspondaient aux normes des années 1960 et seraient encore plus courtes aujourd’hui (!).

La caractéristique principale de l’étrave était un « barillet » extérieur de 20 torpilles de 400 mm de type 41 « Harold » en  ballast, tirant directement vers l’avant par deux trappes, une de chaque côté. Il s’agissait de torpilles anti-sous-marines électriques à autodirecteur passif « fire-and-forget ». Au centre du barillet se trouvaient six tubes lance-torpille de 533 mm (21″) pour des torpilles à kérosène Typ-27 (plus tard, des torpilles à peroxyde Typ-61). Ces torpilles étaient filoguidées (une technologie très récente à l’époque).

Bien que les tubes lance-torpilles de 533 mm soient chargés par l’intérieur du sous-marin, aucune recharge n’était transportée. Cela signifie que les compensateurs torpilles étaient inutiles tout comme le poste  torpilles ce qui permettait de gagner beaucoup d’espace. Une étrave ainsi chargée reléguait le sonar -actif et passif- sur l’avant du massif lui donnant une apparence distinctive de nez cassé qui caractérisait également le A-11 tel qu’il a été construit

L’énorme hélice à pales orientables, comparable à un rotor d’hélicoptère devait  permettre d’orienter la poussée pour un meilleur agilité du sous-marin. L’abandon constaté sur les plans suivants sera sans doute dû )à la complexité du système.

Note sur la classe A-10

En ces temps-là, la conception des sous-marins suédois d’après-guerre était largement influencée par  le sous-marin allemand de type XXI de la Seconde Guerre mondiale. La Suède en avait acquis un à la fin de la guerre, bien qu’elle ait dû le céder aux États-Unis, mais pas avant d’avoir étudié avec attention ses technologies avancées. Les A-10 de la classe Hajen-III, entrés en service entre 1957 et 1960, sont le fruit de cet apprentissage et étaient alors très modernes. Avec 720 tonnes  ils étaient également les plus grands sous-marins construits en Suède mais encore petits sur la scène mondiale. Bien que la Suède ait absorbé les influences allemande et américaine en matière de conception, l’accent mis sur les petits sous-marins et la réduction des équipages a conduit les ingénieurs suédois à être assez innovants et indépendants d’esprit. Ainsi, la Suède avait déjà mis en place un barillet torpilles dans l’A-10 :

Programme suédois de sous-marin A11- 

Conception nucléaire de l’A-11A de 1958

  • Ce modèle était encore plus petit avec seulement 660 tonnes, mais il était à bien des égards, similaire au modèle précédent de 1957. L’emport  de torpilles était similaire,  l’hélice à pales orientables étant remplacée par une hélice standard de plus petite taille.

Spécifications

  • Déplacement en surface : 660 tonnes
  • Longueur : 43,5 m
  • Diamètre de la coque : 5,6 m
  • Puissance : 4 000 shp à 200 rpm.
  • Armement : 6 tubes lance-torpilles de 533 mm (21″) sans rechargement, 20 torpilles légères de 400 mm (15,75″) transportées à l’extérieur dans un magasin rotatif.

Projet NEPTUNE – centrale nucléaire

Le réacteur nucléaire et sa machinerie devaient être développés dans le cadre d’une coentreprise par le principal chantier naval suédois, Kockums AB, et Stal-Laval AB (ensemble le groupe NAVALATOM) sous le nom de Projet NEPTUNE. L’installation était destinée en premier lieu aux bâtiments de surface (civils et militaires), l’installation pour sous-marins étant une réutilisation commode. Par conséquent, le département de la marine n’en a financé qu’un tiers, et l’ensemble du projet était non classifié.

À cette époque, Kockums était un grand constructeur naval connu pour ses pétroliers et autres grands cargos, la construction de sous-marins n’étant qu’une petite « activité secondaire ». C’était le début de « l’ère atomique » et l’on pensait que bientôt tous les grands navires seraient à propulsion nucléaire : Kockums voulait ainsi être à l’avant-garde.

Notes sur les classes A12 et A13

En raison de la longue durée de développement du projet avancé A-11, deux conceptions provisoires de sous-marins ont été commandées. Le A-12 était une suite directe du A-10 avec une même tranche avant avec un magasin de torpilles rotatif, et une tranche arrière avec une seule hélice et des safrans cruciformes forme.  Le A-13, plus petit, était une reconstruction radicale de la classe A4 « Kustbatar » de la Seconde Guerre mondiale, avec un réseau de sonars à l’avant, un nouveau massif et une section arrière entièrement nouvelle.

L’A12 comportait également une très grande hélice à rotation lente, similaire aux premiers concepts de l’A11, sauf qu’elle n’était pas à pales orientables. Il est à noter que, le sous-marin étant en surface ,cette hélice aurait battu à l’air libre :

Comme les esquisses  A-11A ci-dessus, la classe A-13, plus petite, était équipée d’un magasin de torpilles de 400 mm à 10 coups. Mais celui-ci se trouvait dans les  ballasts arrière, tirant vers l’extérieur à un angle. L’A-12 a également été conçu pour recevoir ce dispositif, mais il n’a jamais été installé.

Le barillet externe de torpilles de 400 mm n’a pas eu beaucoup de succès. Il y avait des problèmes de maintenance avec les installations mécaniques, électriques et hydrauliques complexes en   ballast. Cela signifiait des problèmes d’isolation électrique presque constants. En outre, la configuration n’était pas adaptée à la prochaine génération de torpilles anti-sous-marines suédoises légères qui seraient des torpilles filoguidées – ce qui fut le cas général dans les années 70.

Le modèle nucléaire A-11A de 1962

En 1962, le barillet torpilles caractéristique de la proue a été remplacé par une disposition beaucoup plus conventionnelle avec quatre tubes de torpilles de 533 mm et deux tubes de 400 mm. Quatre engins de 533 mm et seize de 400 mm pouvaient alors être emportés « en recharge ».

Le bateau possédait déjà les sections de coque principale de même diamètre qui étaient adoptées dans les futurs sous-marins d’attaque nucléaires de l’US Navy, ainsi qu’un empennage en forme de « X » alors testé sur l’USS Albacore.

Spécifications

  • Déplacement en surface : 1170 tonnes
  • Longueur : 51,2 m
  • Diamètre de la coque : 6,04 m
  • Puissance : 7 000 shp à 150 rpm.
  • Armement : 4 tubes lance-torpilles de 533 mm (21″) avec un total de 8 torpilles, 2 tubes lance-torpilles légers de 400 mm (15,75″) avec 16 torpilles.
  • Équipage : 21

Le concept de l’A-11A à propulsion nucléaire a été abandonné en 1962 pour un certain nombre de raisons, tant par  pression politique et par un scepticisme croissant à l’endroit du nucléaire (des armes notamment). À partir de 1960, des sous-marins lanceurs de missiles balistiques de l’US Navy armés de SLBM Polaris ont été stationnés près des eaux suédoises, au vu et au su des responsables suédois (cette pratique a été abandonnée par la suite, car les nouveaux SLBM avaient une plus grande portée, ce qui permettait des zones d’opération plus éloignées). À l’époque, la Suède disposait également d’un programme d’armes nucléaires tactiques de grande importance et très avancé, qui a également été abandonné. Un sous-produit des réacteurs de l’A-11A devait être du plutonium pour ces armes nucléaires…

Conception de l’A-11C AIP

Le principal modèle de l’A-11 était en fait le modèle A-11C anaérobie. Mise au point en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale cette technologie avait pour  but de rendre le sous-marin plus rapide sous l’eau et indépendant de  batteries. Le développement, qui utilise principalement le peroxyde d’hydrogène, s’est poursuivi dans les années 1960 en Grande-Bretagne et aux États-Unis comme alternative à l’énergie nucléaire, et la Russie a même mis en service une classe entière de petits sous-marins AIP (la classe Québec).

Le moteur à cycle fermé, développé par Motala Verkstäder » et Kockums AB, devait fonctionner à l’alcool et à l’oxygène, embarqués dans un grand réservoir d’oxygène liquide (LOX) sur l’arrière du moteur. Ce réservoir avait un petit trou au milieu pour l’arbre d’entraînement et un réservoir compensateur enveloppant qui était rempli d’eau au fur et à mesure que le LOX était évacué pour maintenir la pesée.

 L’A-11C était prêt à être produit mais fut  considéré comme trop bruyant et trop dépendant des installations de soutien à terre pour l’approvisionnement en LOX en temps de guerre. La discrétion commençait tout juste à être reconnu comme un facteur critique dans la guerre sous-marine (il est essentiel d’entendre l’ennemi avant qu’il ne vous entende), mais la Suède était au courant de cette découverte par la Royal Navy et l’US Navy – les Soviétiques ont mis dix ans de plus à l’apprécier réellement. Par conséquent, l’installation AIP alcool-LOX a été abandonnée dans les années 1960.

Lorsque la machine à cycle fermé alcool-LOX a été abandonnée (principalement pour des raisons de bruit), des piles à combustible beaucoup plus avancées ont été envisagées. Cette technologie est plus proche de certains systèmes AIP modernes, mais autre que les  moteurs Stirling utilisés aujourd’hui sur les bateaux suédois. La société suédoise ASEA a fait pression pour que des piles à combustible soient installées sur l’A-11C et a construit un prototype à l’échelle  qui,  la veille de sa démonstration à l’état-major de la marine, prit feu. C’était la fin du concept AIP…

Conception conventionnelle de l’A11B

Tous les différents développements de propulsion avaient alors coûté fort cher à la Suède, de sorte que la conception de l’A-11 s’est repliée vers la conception d’un sous-marin diesel-électrique conventionnel, l’A-11B. Il est entré en service sous le nom de Sjöormen Clas en 1968, environ 8 ans avant que le bateau à propulsion nucléaire ne soit prêt s’il avait été poursuivi

source : HI Sutton