Incendie du SNA Perle : Pour le général Lecointre, l’externalisation de l’entretien des navires a été une erreur

La Révision générale des politiques publiques RGPP [entre 2007 et 2012] puis la Modernisation de l’action publique [MAP], menée au moins jusqu’en 2015, ont été des politiques qui, reposant sur la recherche à tout prix de l’efficience, ont conduit à de profondes réformes au sein du ministère des Armées. Ce qui s’est traduit par une déflation importante des effectifs, le recours à l’externalisation et la prédominance d’une logique des flux par rapport à une logique des stocks.

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Photo Twitter @Premarmed

C’est donc dans ce contexte que, en 2015, Naval Group [qui s’appelait encore DCNS] se vit confier la maintenance des six sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Rubis jusqu’en 2020. Or, pour le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, cela a été une « erreur ». Et l’incendie du SNA « Perle », le 12 juin dernier, en serait l’illustration.

Pour rappel, ce sous-marin était en cale sèche, à Toulon, dans le cadre de son dernier arrêt technique majeur, quand un incendie s’est déclaré dans un compartement situé l’avant du navire. Début septembre, et d’après les avancées de l’enquête, l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], a expliqué que le feu aurait sans doute été provoqué par un « éclairage » ayant consumé une feuille de plastique en vinyle qui se trouvait « dans un coffret en bois », lequel avait été installé pour éviter la propagation d’amiante lors du carénage de la coque.

Quoi qu’il en soit, un mois après les faits, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, un mois après les faits [le compte-rendu vient d’être publié dans un rapport intitulé « L’évolution de la conflictualité dans le Monde »], le général Lecointre a estimé que l’incendie de la Perle est « typiquement la traduction des renoncements auxquels nous avons été conduits sous la contrainte de la recherche d’efficience et de la révision générale des politiques publiques. »

« C’est la première fois que nous avons entièrement externalisé l’arrêt technique majeur d’un bâtiment essentiel à notre marine à un industriel privé », a continué le CEMA, avant d’assurer que les « enseignements » en seront « tirés ».

« Nous savions que ce mouvement, auquel nous avions été contraints, présentait des inconvénients », a insisté le général Lecointre.

« J’en parlais il y a deux jours avec l’amiral Augier, patron du bataillon des marins-pompiers de Marseille qui a dû intervenir sur cet incendie et qui a, par ailleurs, été ingénieur-mécanicien en chef d’un sous-marin nucléaire d’attaque. Il m’expliquait que lorsqu’il était en service dans son sous-marin, pendant l’arrêt technique, l’équipage était là et les officiers étaient en permanence dans le bâtiment, ils restaient maîtres de l’outil, car cela demeure une opération militaire et pas simplement industrielle », a reconté le CEMA [par ailleurs fils de sous-marinier].

« Des erreurs ont été faites et nous saisirons toutes les occasions pour revenir sur ces erreurs, y compris quand cela ne coûte pas d’argent et que l’affaire est simplement de processus », a encore assuré le général Lecointre.

Cela étant, ce dernier met en garde depuis longtemps contre cette quête de l’efficience, devenue pendant un temps l’alpha et l’oméga de toutes les réformes appliquées au monde militaire. Il le fit ainsi en 2012, avec « La fin de la guerre à la fin de l’armée« , un article publié par le revue Inflexions. Ce qu’il n’a pas manqué de rappeler aux députés.

Dans ce papier, « j’alertais sur les dangers que nous courions en dégradant notre modèle d’armée sous le poids de la recherche d’efficience à tout prix et de la contrainte économique. La vision de l’État et de son fonctionnement qui prévalait alors affaiblissait objectivement les armées : parce qu’on estimait que la paix était définitive, on considérait que celles-ci devaient être cantonnées à des opérations de gestion de crise », a dit le CEMA.

« Toutes les politiques mises en œuvre dans le cadre de la RGPP l’ont été par un ensemble politico-administratif qui était rempli de certitudes sur l’avenir du monde : nous allions, disait-on, vers un monde heureux », a encore dénoncé le général Lecointre. Or, a-t-il continué, « il faut avoir été à Sarajevo en 1995, en Somalie, au Rwanda, pour comprendre ce qu’est la violence et ce qu’il y a au fond de l’homme, et mesurer que les bases sur lesquelles nous construisions un avenir radieux pour l’Union européenne et le monde occidental allaient être sapées par la réalité de la violence des hommes et du fond tragique de l’histoire. »

source : Opex360