Amiral Bernard Rogel : « La Force océanique stratégique française restera à Brest »

« Nous remercions le Télégramme pour nous avoir accordé le droit d’offrir aux membres de l’AGASM la possibilité de mieux connaître l’un des leurs. »

Le « ti zef » aux cinq étoiles a pris sa retraite le 1er août. Ancien chef d’état-major de la Marine, l’amiral Bernard Rogel revient, pour Le Télégramme, sur sa carrière et tire des perspectives pour le futur.


Ancien chef d’état-major de la Marine, l’amiral Bernard Rogel a pris sa retraite à 64 ans le 1er août 2020, après avoir quitté ses fonctions de chef d’état-major particulier du président de la République Emmanuel Macron. (Photo DR)

Vous avez quitté, cet été, la carrière militaire, après 44 ans dans la Marine, embarqué sur des bâtiments et en états-majors.

Je suis revenu dans ma ville natale, à Brest. Mon épouse est originaire de Saint-Marc, moi de Saint-Pierre : il n’a jamais été envisageable de passer ma retraite ailleurs. Une vie de marin demande beaucoup de sacrifices de la part de la famille. J’ai donc choisi de prendre une sorte d’année sabbatique pour réapprécier la vie à Brest, qui est tout de même sacrément agréable. Nous y avons retrouvé beaucoup d’amis. J’aurais aimé en profiter pour vibrer avec le Stade Brestois dans les tribunes du stade Francis-Le Blé, mais l’épidémie de covid-19 l’empêche encore pour quelque temps.

Quels sont vos projets ?

Je donne quelques conférences pour partager mon expérience, notamment avec des jeunes officiers. Pour la suite, je sais que je continuerai à valoriser les enjeux maritimes de notre pays car j’y crois profondément. La France est une grande nation maritime. Nos outre-mer, présents sur tous les océans, donnent à la France une particularité que j’ai découverte dans mes fonctions auprès du président de la République : partout dans le monde, le Français est un voisin plutôt qu’un étranger. Ce statut de « voisin du monde » nous donne un avantage irremplaçable pour engager des discussions et des échanges !

Quel a été le moteur de votre vocation à rejoindre la Marine ?

J’ai passé mon enfance à Saint-Pierre-Quilbignon, un quartier à l’ouest de Brest qui donne directement sur la plage de Sainte-Anne du Portzic. Gamin, j’y scrutais les bateaux quitter la rade pour de nouveaux rivages. J’étais déjà passionné par la lecture des auteurs maritimes, comme Édouard Peisson ou C. S. Forester. Cette recherche d’aventures m’a poussé à préparer le concours de l’École navale, que j’ai eu la chance de réussir en 1976.

Vous comptez près de 27 000 heures de plongées à bord de sous-marins et avez commandé les SNA Casabianca et Saphir et le SNLE L’Inflexible. Que vous ont apporté ces missions ?

La Marine est une institution tout à fait remarquable en termes de technologies mais aussi de relations humaines. À l’École navale, j’ai été marqué par l’esprit exceptionnel de solidarité et de respect mutuel des sous-mariniers. Ce n’est plus une affaire de grade mais de compétence et de confiance. Après, quand vous êtes commandant, vous avez la confiance totale des membres de votre équipage et une grande solitude dans les prises de décisions. Ces sous-marins nucléaires sont les objets les plus complexes inventés par l’homme, bien loin devant les avions ou même les navettes spatiales. Leur puissance est très importante : il faut se souvenir de la guerre des Malouines, où les Britanniques ont bloqué au port la flotte argentine avec un seul SNA ! Il vous donne de la puissance, de la mobilité et de la discrétion.

Les effectifs de la Marine ont augmenté en 2020, pour la première fois depuis de nombreuses années. Peut-on parler d’un renouveau ?

Les réductions de budget et d’effectifs jusqu’en 2015 ont abouti à une situation assez tendue. Il faut rendre hommage à Emmanuel Macron d’avoir inversé la tendance déflationniste, à travers la loi de programmation militaire 2019-2025. Son analyse était qu’on n’allait pas vers un monde moins dangereux qu’avant. C’était absolument nécessaire pour conserver le modèle global de nos armées. Il nous permet d’assurer notre sécurité et de tenir notre rang de membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu.

Le plus grand défi est donc le recrutement ?

Il faut y veiller mais les armées attirent toujours et la Marine en particulier. Elle forme à des métiers attractifs comme l’électronique, l’informatique, le cyber. C’est un escalier social qui marche, comme le montre l’École des mousses que le président de la République a visitée dernièrement. En revanche, ma première préoccupation, en tant que chef d’état-major de la Marine, était de fidéliser les marins. C’est indispensable car les compétences sont de plus en plus pointues et les formations longues. C’est un vrai défi car une part de la pression opérationnelle repose sur les conjoints qui ont désormais, eux aussi, une carrière professionnelle. J’étais très heureux du lancement du Plan Famille car ce serait une erreur d’isoler les sujets familiaux de la gestion des militaires.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur l’opération Serval puis Barkhane, lancée il y a huit ans ?

La France est intervenue à la demande des États du Sahel eux-mêmes et pour assurer la protection des populations, premières victimes des groupes terroristes. L’opération peut sembler longue mais il est nécessaire que les armées sahéliennes puissent prendre en charge la sécurité de leurs pays. Il ne faut pas partir trop vite, afin d’éviter de revenir à la situation de 2013. Mais Barkhane devra certainement évoluer dans son format et ses missions. C’est déjà le cas avec l’appui européen de la force Takuba.

Comment voyez-vous évoluer la place de Brest ?

Brest est bien ancrée dans le dispositif stratégique français. La Force océanique stratégique restera à Brest, parce que c’est la porte ouverte sur l’océan ; cela favorise la dilution des SNLE dans les eaux profondes de l’Atlantique. Le port accueille aussi les frégates multi-missions (Fremm), la chasse aux mines, sans oublier toute l’aéronautique navale qui se situe à proximité, à Lanvéoc, Landivisiau et Lann-Bihoué. Il faut également être conscient que Brest est le premier port de formation de la Marine, avec l’école des Mousses, l’école de Maistrance et l’École navale. Je rends aussi hommage à ce qu’on appelait l’Arsenal, et qui sont aujourd’hui des industriels, et à leur expertise exceptionnelle dans l’entretien des bateaux. Je ne vois pas la place de Brest diminuer.

Source : Le Télégramme, édition du  14 mars 2021