115ème anniversaire de la création de la composante sous-marine russe

Le Knyaz Vladimir, classe 955-A Borey-A
Photo : ministère de la Défense de la Fédération de Russie

Le 19 mars dernier a été célébré le 115ème anniversaire de la création de la composante sous-marine russe. Comme chaque année, cette célébration s’est accompagnée de tout un ensemble de déclarations sur les constructions en cours ou à venir, tout comme les modernisations ou encore la présence en mission de tous les sous-marins classiques de la flotte de mer Noire.

Qu’en est-il réellement ?

Intéressons-nous tout d’abord aux constructions neuves. L’effondrement industriel qui a suivi la disparition de l’URSS a spectaculairement impacté le nombre d’acteurs dans ce domaine. Il ne reste aujourd’hui que deux bureaux de conception, Rubin (SSBN et SSK) et Malakhit (SSGN). Pour les chantiers, l’impact est tout aussi important puisque ne subsistent que SEVMASH à Severodvinsk (sous-marins à propulsion nucléaire) et les chantiers de l’Amirauté (sous-marins Diesel-électrique) à Saint-Pétersbourg.

En ce qui concerne les sous-marins nucléaires lance-engins (SSBN), on assiste déjà à une assimilation des classes 955 Borey et 955A Borey-A. Ce sont pourtant des unités de générations totalement différentes. En effet, les Borey simples sont une sorte de mécano qui mêle à la fois des parties arrière et avant d’unités de la classe 971 Akoula non achevées ou réformées, des équipements récupérés sur des classes 949AM dont la construction a été abandonnée, avec une tranche missile moderne. Cette même tranche missile, à quelques améliorations près, se retrouve sur les classes 955A Borey-A qui sont d’une conception plus récente, faisant appel à une nouvelle coque, une nouvelle propulsion tout comme à une nouvelle livrée électronique (sonar à base sphérique, périscopes de nouvelle génération etc.)

Si les trois Borey et le premier Borey-A sont déjà en service, six restent à venir selon le calendrier suivant:

Si le Knyaz Oleg devrait effectivement entrer en service cette année, on ne peut que constater le glissement généralisé des dates réelles d’admission au service actif. Les six premiers Borey-A étaient annoncés à l’origine pour être tous en service en 2021.

Ces sous-marins vont assurer la relève des sept unités des classes 667BDR Delta III et 677BDRM Delta IV dont le dernier devrait quitter le service à l’horizon 2030 / 2035. C’est à priori la cible tenue aujourd’hui, même si des rumeurs font état de la prolongation de la série des Borey-A à 10 unités. Le délai de construction actuel est de sept ans.

En parallèle, Il convient de souligner que les entrées en premier Arrêt Technique Majeur (ATM) des trois Borey vont s’échelonner à priori de 2025 à 2026, réduisant le parc des sous-marins disponibles.

Une de leur particularité, rarement soulignée, est celle du lancements en surface des missiles balistiques Boulava. Cette capacité, à priori étonnante, est liée aux zones de patrouille sous les glaces. S’il reçoit l’ordre de tir, le sous-marin émerge et lance ses missiles sans risque. Les Delta II possédaient déjà des sonars spécifiques pour rechercher les failles dans la banquise. Ils creusaient éventuellement des polynies artificielles en tirant des torpilles contre la banquise. Il est fort probable que toutes les variantes de Borey qui disposent de la même capacité soient elles aussi équipées de sonars adaptés. Ils sont par contre munis de roquettes spécialisées pour la création de ces polynies artificielles. Cette capacité à tirer en surface présente aussi l’avantage de la dispersion des unités dans plusieurs rades même si elles ne sont pas en état de plonger, compliquant ainsi le plan de frappe d’un adversaire probable.

Pour les autres sous-marins à propulsion nucléaire, on a assisté à un véritable tour de passe-passe. Alors que la marine russe distinguait autrefois les APL (sous-marins nucléaires d’attaque /SSN) des APK (sous-marins lanceurs de missiles aérodynamiques  / SSGN), le tout a été « fondu »  dans un catégorie unique, les sous-marins multi-missions. Beau cache-sexe pour masquer le manque de SSN, notamment en flotte du Pacifique où seul le K-419 Kouzbass (classe 971 Akoula) est en ligne.

Pour les donc sous-marins nucléaires « multi-missions », la situation reste aussi complexe. La sortie de la première unité de la classe 885 Yasen, le K-560 Severodvinsk, a été laborieuse (pratiquement 5 ans d’essais à la mer avant la mise en service effective). Cette classe est aujourd’hui remplacée par la classe 885M Yasen-M dont la mise au point paraît tout aussi laborieuse. Le K-561 Kazan devait être mis en service au départ en décembre 2015. Il est toujours en essai de recette.

Cette nouvelle « sous-classe » est plus courte d’une dizaine de mètres, notamment avec l’abandon d’un sonar à base sphérique pour un sonar « conforme ».

Le plus gros reproche est en fait le coût prohibitif d’une classe qui s’apparente plus à celle d’un SSGN que d’un SSN. Ils sont eux-aussi capables de lancer en surface, pour la même raison et avec les mêmes équipements que les Borey.

Le calendrier prévisionnel est le suivant :

Le délai de fabrication est de l’ordre de sept ans pour la série. La livraison du dernier est déjà hors du plan de développement 2021-2027. Le Voronezh et le Vladivostok sont annoncés comme étant capables de mettre en œuvre le missile Kalibr-M d’un diamètre de 650 mm, ce qui conduit à penser que les tubes lance-torpilles de ce diamètre vont réapparaître sur les futurs sous-marins russes. L’explosion de la torpille 65-76A à bord du Koursk avait conduit au débarquement de ces engins. Depuis, aucune nouvelle construction ne comportait jusqu’alors de tels tubes.

Pour les sous-marins à propulsion Diesel-électrique, l’épineux problème d’un Prolongateur d’Autonomie en Plongée (AIP) est toujours sur la table. Cet équipement est évoqué depuis 2011, avec un appel du pied en direction de l’Inde en septembre 2019, sans succès. L’interview du directeur général du consortium des constructions navales OSK est révélateur de l’agacement russe, puisque pour lui « la conversation sur ce sujet est très très provisoire ». Un tel équipement ne serait disponible au mieux qu’en 2023.

Du côté des batteries au lithium, le retard risque aussi d’être conséquent. L’explosion d’une pile au lithium « expérimentale » à bord du sous-marin d’opérations spéciales AS-31 (classe 10831 Kalitka/ Locharik) en juillet 2019 va nécessiter d’autres études.

Deux classes de SSK sont en cours de construction. Cette dualité provient de l’échec patent de la classe 677 Lada. La première unité, le B-585 Sankt-Peterburg, n’a jamais été admis en service autrement que de manière « expérimentale ». Il est de retour aux chantiers de l’Amirauté pour son premier ATM / modernisation. Mais il présente tellement de différences avec ses successeurs que cette modernisation est toujours en question.

Le calendrier prévisionnel des livraisons est le suivant :

La livraison du B-586 a été retardée du fait de la défaillance d’un sous-traitant, défaillance qui pourrait être liée à des soucis de financement.

Douze unités ont été annoncées en décembre 2018, mais pour l’heure seules six ont fait l’objet d’une commande. Les déboires de cette classe ont tué dans l’œuf toute tentative à l’export, ce qui, on le verra plus loin, fait peser une menace sur l’avenir des chantiers de l’Amirauté.

L’autre classe, la 6363 (ou 636 quelque chose), est en fait une resucée améliorée des classes 636 et 636M Improved Kilo livrés à la Chine entre 1997 et 2006. Certes leurs équipements sont plus modernes, mais ils reposent en fait sur l’architecture originale des classes 877 Kilo. Ils disposent surtout de la capacité de lancement de missiles Kalibr-PL par leurs six tubes lance-torpilles.

Six ont été livrés à la flotte de mer Noire entre 2014 et 2016. Ceux-ci alternent entre des missions en mer Noire ou en Méditerranée et des périodes d’entretien à Kronstadt et Saint-Pétersbourg. L’affirmation selon laquelle ces six unités seraient actuellement en mer interroge, puisque deux d’entre eux, les B-261 et B-265 sont actuellement en entretien en Baltique.

Six autres unités ont été commandées pour la flotte du Pacifique et un septième pour la flotte de Baltique. Le calendrier des livraisons est le suivant :

Une deuxième unité serait prévue pour la flotte de Baltique, mais le contrat n’a pas encore été signé.

À partir du B-603, ils disposent de périscopes non pénétrants. Du fait de leur capacité de lancement de missile Kalibr-PL, ils sont abonnés à un réseau VLF particulier, avec le récepteur R-643 Piatydesyatnik.

Le retard du transfert vers leur flotte d’appartenance des B-274 et B-603 est étonnant. Aux dernières nouvelles, ils devraient rallier entre mai et juin 2021 par une voie totalement novatrice pour les marines soviétique puis russe, puisqu’ils devraient emprunter le canal de Suez et entrer ainsi en mer Rouge où plus aucun sous-marin de cette puissance n’a été présent depuis 1987.

Le Yakoutsk était initialement prévu pour 2022. Cette nouvelle échéance résulte probablement d’un étalement des travaux pour que les chantiers de l’Amirauté conservent une charge de travail conséquente. En effet, après l’échec des possibilités d’exportation (Inde, Indonésie, Philippines…) et la dotation complète des clients traditionnels (Chine, Algérie, Vietnam), l’avenir du chantier paraît bien sombre. 

Enfin, il y a une catégorie qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire pour cette journée. Il s’agit des porteurs de mégatorpilles Poséidon que l’on peut qualifier de SSTN [sous-marins nucléaire lance-torpilles]

Le premier d’entre eux, le K-329 Belgorod de la classe 09852, a été bâti autour d’un sous-marin de la classe 949AM non achevé. Il va avoir un double rôle de lanceur de Poséidon et de porteur du sous-marin d’opérations spéciales AS-31 Locharik. Lancé le 23 avril 2019, il devrait entamer ses essais à la mer dans le courant du mois de mai prochain, et entrer en service en 2022. Reste à savoir comment il partagera son temps entre les missions de porteur de Poséidon, que l’on imagine stratégiques et les missions de mise en œuvre de l’AS-31, qui le fait dépendre de la 39e division de sous-marins, elle-même directement subordonnée à la Direction de la Plongée Profonde (GUGI) du ministère de la Défense.

Il va être appuyé dans ce rôle stratégique par une classe dédiée, la classe 09851, dont l’existence a été fortuitement révélée lors de la mise sur cale de la première unité, le Khabarovsk, en juin 2014. Il devrait sortir de forme au printemps ou à l’été 2021 et entrer en service en 2022 (en flotte du Pacifique ?). Pour cette seconde classe, on évoque une autre unité, l’Ulyanovsk[i], qui serait mise en service en 2027.

Le tableau ci-dessous récapitule toutes ces informations

On évoquera les modifications / modernisations en cours dans un prochain article.

[i] À ne pas confondre avec la 6e unité de la classe 885M Yasen-M

contributeur : Alain Nicolas Nicolaz